Infinitudes. Cet échange entre deux âmes d’enfants semble se fonder sur une question ontologique : au-delà de la ligne d’horizon, au-delà de la voûte étoilée, qu’y a-t-il ? Néanmoins, avant d’y répondre, il faut s’être soustrait des passions sociales et détaché de ses propres affaires. La pensée de l’infini suppose un état de liberté où l’on s’est désengagé du monde des préoccupations. Un état qui se caractérise par une disponibilité intérieure, une capacité à voir au-delà des apparences, un penchant pour la nature et les signes qu’elle manifeste… autant de qualités que possèdent nos deux auteurs, Aïcha Dupoy de Guitard et Gilles Baudry.
L’une est photo-poète et s’émerveille, depuis plusieurs années, devant de longs horizons océaniques, qu’ils soient ouverts sous de grands nuages ou qu’ils soient retirés dans les boucles d’une rivière aux eaux dormantes. L’autre est moine-poète bénédictin, et médite la parole de Dieu dont la présence se révèle dans les branches — écritures d’arbre — couvertes de neige, ou encore dans la pluie qui recouvre la mer à la façon d’un voile. « Dieu ? C’est-à-dire l’averse qui a choisi de tomber ici. Elle qui aurait pu tomber un peu plus loin dans ce petit bois : en cela le hasard, en cela divine. » Ou, selon Yves Bonnefoy, une approche sensible de la transcendance.
Commune et partagée, leur pensée de l’infini est donc loin d’être abstraite. Au contraire, elle s’incarne dans le paysage maritime d’une rivière serpentine, aux pieds du Menez Hom. Car derrière les épaules de la photographe qui filme l’horizon à la manière d’un peintre, derrière les épaules du poète qui posent ses mots sur la page — comme le fait la mer, avec les galets sur le sable humide, en se retirant —, il y a la présence de tout un pays, un « arrière-pays ». C’est celui-là que vous allez entrevoir ici !
J’ai rencontré Aïcha et frère Gilles dans un petit parloir de l’abbaye de Landévennec. Elle m’avait montré quelques-uns de ses superbes clichés, il a commencé à me lire ses poèmes. Le temps nous glissait dessus et je fus rapidement emportée par leur travail qui exprimait avec tant de justesse ce que j’allais chercher depuis toutes ces années, dans cet « entre deux mondes ». J’oubliais avec eux un instant les menaces, les dangers qui pèsent sur l’océan. Je me remémorais une après-midi en kayak, dans l’extrême Nord du Groenland, un jour où l’océan était le miroir du ciel — ou alors était-ce lui le miroir de l’océan ? —, où les limites devenaient floues jusqu’à les appeler horizon, où les lumières puissantes et les éléments semblaient fusionner, se confondre. L’horizon que frère Gilles nomme si justement « cette partition musicale inconnue ».
Partout nous sommes saisis par le sentiment océanique ici à l’œuvre. Franchi l’admirable pont curviligne de Térénez, on quitte symboliquement l’univers de la rivière pour entrer en pleine mer passant alors d’une lente respiration aux grands souffles de la mer d’Iroise que l’on devine déjà poindre au-delà du vaste amphithéâtre de la rade brestoise. À l’évidence, les deux créateurs ont travaillé en parfaite confiance, chacun à l’écoute attentive de la perception de l’autre. Ils sont ainsi éveilleurs et nous rappellent que nous ne sommes que souffle, passage, moments éphémères qu’il convient néanmoins de saisir dans leur plénitude.